« Cantabrie infinie | En fouillant dans mes vieux fichiers... (4) » |
Chose promie, chose dûe. Et voilà encore un texte, écrit le samedi 2 novembre 2002. Cela fait déjà plus de 5 ans, et il est resté dans un tiroir durant toutes ces années. Aujourd'hui il sort à la lumière du jour et voguera désormais sur les flots de la toile mondiale. Bonne lecture.
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Sensibilité
C’est l’heure. J’entre dans l’arène et commence à observer mon adversaire. Il est bien plus grand et plus menaçant que je ne le suis. Le round d’intimidation commence : je grogne dans l’espoir de l’ébranler, de lui faire savoir que c’est moi qui remporterait ce combat. Il montre les dents et me fusille d’un regard qui vous fait penser que vous feriez mieux d’être ailleurs… Mais je n’ai malheureusement pas le choix. Il faut combattre. Il me faudra être rapide car le rapport des forces est bien inégal et le seul point faible que je lui suppose est sa vitesse. Ses mouvements ont l’air d’être un peu molester par sa masse et par sa taille. C’est un colosse… je dois l’attaquer sur ses jambes. C’est décidé. Avec un peu de chance, cela pourrait l’immobiliser, et la partie sera gagner. Confiance. Voilà le mot qu’il me faut répéter.
Le public hurle… les paris sont lancés. Des « 250 sur le numéro 6 !! » et des « 200 sur le numéro 7 !! » jaillissent des quatre coins de la salle avant de s’évaporer doucement. Tout à coup, après le tumulte, le silence…
Ce moment m’a toujours terrorisé. Tous les regards se tournent sur vous, plus un mot… Coup de massue. La peur et le doute m’envahissent et chacun plante son drapeau sur chaque hémisphère de mon cerveau. D’un côté ce sentiment qui vous glace, qui vous noue l’estomac, et de l’autre ce sentiment qui active vos millions de neurones… « Pourquoi suis-je là ? », « Je ne parviendrais jamais à le battre… il est bien trop fort. », « Mais pourquoi…
Coup de sifflet. La foule se déchaîne. La violence et la haine qu’elle dégage emplit soudain les deux adversaires. C’est un combat où tout est permis.
Il bondit sur moi. Je l’esquive. Il est bien plus agile que je ne l’avais imaginé. Il se retourne, grogne, et fonce droit sur moi. Pas d’autre solution que d’accepter l’affrontement direct. Qu’on en finisse. Contact. Son coup sur mon flanc gauche me fait l’effet d’un coup de sabre. Je riposte : morsure sur sa jambe gauche. Sang. Il recule. Moi aussi. Je jette un coup d’œil furtif sur mon flanc blessé. Quelle douleur.
Les spectateurs retiennent leur souffle. « Encore, encore, encore, … » se met-on à murmurer. Très vite, le murmure devient une musique rythmique entrainante. Le combat se poursuit. Les spectateurs, tout comme les deux combattants sont ivres. Ivres de bonheur violent pour les uns, ivres de cette douce douleur qui permet des exploits si phénoménaux pour les autres. Un cri horriblement atroce survient. Du sang, beaucoup de sang jaillit de cette merveilleuse fontaine de chair et de poils qui se situe en plein milieu de cette place à laquelle certain ont donné le nom sympathique de « Place de la mort douce ».
Il m’a eut. Une morsure en pleine gorge. Il n’y a rien de plus efficace. Je le sais bien. Expériences. J’en ai déjà eu plus d’un de cette façon. Mais aujourd’hui c’est mon tour. Il s’éloigne. Il a gagné. J’ai perdu… Je vois d’un œil que je ne suis plus sur une arène, mais dans une marre de sang. Mon sang. Je le sens et cette odeur est immédiatement aller s’inscrire au plus profond de ma mémoire. Je tente de boire mon propre sang pour le récupérer, mais aussi et surtout pour en connaître sa saveur. Saveur d’agonie. Je… je vois mes soigneurs s’approcher… je… _________
C’est la fin. Les spectateurs quittent la salle. Sur les visages se lisent la satisfaction d’avoir gagné quelques sous, ou tout simplement d’avoir assisté à un spectacle qui permet de satisfaire leur besoin de violence sadique. Et puis d’autres, plus tristes : ils ont perdu leurs dernières économies si durement gagner au boulot. La lumière s’éteint, la porte se ferme. Rideau.
Je me réveille. Des barreaux et des grillages. Je suis en prison. Un inconnu s’approche et me tend de l’eau. Il passe sa main dans mon dos. Cela me fait mal. Je grogne. Il sursaute et repart. Je tente de me lever. Impossible. Je me rendors.
Des hommes s’affairent dans une salle. Ils tentent de trouver des gens qui voudraient bien s’occuper des malheureux. Tâche difficile. Des visiteurs entrent. C’est une famille. Un enfant pleure.
Réveillé par ce bruit, j’ouvre un œil. Trois individus dont un enfant se trouvent en face de ma cellule. Ils me regardent. L’enfant pleure en me regardant avec insistance. Les personnes qui l’accompagnent semblent gênées. L’enfant s’approche. J’ouvre au maximum mon œil curieux de savoir ce que me veut ce petit être. Je vois : compassion, amour, douleur, tendresse, tristesse.
L’enfant se retourne et dit « Je veux celui là ! ». Ses parents, confus, tentent de le faire changer d’avis : « Ne préfèrerais-tu pas celui là ? Il a ses deux yeux et il est tellement plus mignon. » Cri : « Non, c’est lui que je veux !!! ».
Je regarde la scène à travers mes barreaux. Puis je regarde le reste de la salle. Un calendrier. Nous sommes en décembre. Je ne parviens pas à lire le jour. Je promène mon regard et repère une porte sur laquelle sont inscrits les lettres suivantes : « SPA ». Mais je suis si faible. Je ne puis résister, le sommeil me gagne.
Administration, argent, « merci » et « au revoir » d’usage. Voiture. Arrivée à la maison. Fêtes. Bonheur, chaleur. Janvier, février, mars, avril, mai, juin.
Début juillet. J’ai retrouvé la forme, et ce qui est le plus important : de l’amour, énormément d’amour. Ce petit être en est plein à ras bords. Il est avide d’en distribuer et n’a jamais l’impression d’en donner assez. Il est ma vie. Toute ma vie. Mais dernièrement, je ressens de l’inquiétude chez ses parents. C’est l’heure de la promenade. Je me dirige vers la porte. Le père m’y attend comme toujours… mais pas comme d’habitude. Son air est grave. Je ne sais ce qui peut bien le perturber comme cela. C’est surement la pluie. Les hommes ne l’apprécient pas beaucoup. Il m’attache. Nous sortons.
Direction garage. Voiture. Voyage. Arrivée. Brouillard.
« Allez, on va faire une petite promenade ! Descend ! Tu sais, je ne t’ai jamais aimé. Tu es laid et mal en point. Tu aurais du mourir il y a bien longtemps déjà, cela nous aurait épargné cette situation. Tu vois ce que tu m’obliges à faire ! Sale cabot ! Moi qui n’ai jamais fait de mal à une mouche, tu m’obliges à mettre fin à ta vie. Dans un sens, comme cela, tu ne souffriras plus jamais. Et puis de toute façon, mon fils n’a pas besoin de toi. Je lui trouverai un nouveau compagnon. Plus beau et qui demandera moins de soin que toi. Tu n’es qu’une erreur de la nature et je vais te corriger !!! ».
Couteau. Sang. Fontaine de chair et de poil d’où jaillit du sang à flot. Odeur… la même odeur. Saveur… la même saveur. Mort… celle qui aurait du me prendre il y a bien longtemps. Insensibilité… __________
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